Héritage, patrimoine et création
L’environnement construit, qu’il soit ancien ou contemporain, les stratifications successives de la ville et des paysages, dont la complexité pose des défis constamment renouvelés de lecture et de compréhension, forment plus que jamais des questions actuelles. L’inscription du projet architectural dans un environnement existant, la pensée sur la ville et ses flux, les demandes en faveur d’une approche durable des territoires, soulèvent des questions sur l’inscription des nouveaux projets dans la ville héritée. Car penser le projet et la ville aujourd’hui dans une vision renouvelée de nos modes de vie suppose de l’insérer dans une réflexion globale tenant compte des dynamiques patrimoniales sous-jacentes aux transformations des territoires.
Plusieurs approches et outils permettent de travailler sur les savoirs, les modes de représentation et de transmission. Nombreux parmi ces moyens sont exploités concomitamment dans des projets de recherche et dans l’enseignement. En collaboration avec la Fondation des Science du Patrimoine, le projet DIM MAP permet à l’échelle de l’Île-de-France de construire des relations étroites entre sciences de l’homme, de l’environnement et les sciences physico-chimiques. Par l’étude des objets et de la matérialité des œuvres, cette entrée interdisciplinaire permet d’orienter les recherches sur l’historicité de la matière des œuvres, une question incontournable pour les bâtiments. La relation fructueuse nouée avec la Fondation des sciences du patrimoine et les équipes de ce périmètre régional demande ainsi à être encouragée et renforcée.
Les deux masters associés à l’ENSAV font de la recherche un axe central : le master « Jardins historiques, patrimoine et paysage », dont le rapprochement et l’habilitation prochaine avec l’École universitaire de recherche (EUR) de la ComUE Paris-Seine laissent augurer des collaborations interdisciplinaires nouvelles et fructueuses ; le master « Architecture et ses territoires » (AST) dont l’association avec l’Université de Paris-Saclay est confortée, évolue vers un intérêt marqué pour les sciences de la restauration et l’expertise patrimoniale ; ils pourront rejoindre à terme le projet de création d’une formation spécifique – DSA ou autres – dispensée par l’ENSAV. Par ailleurs, de nouvelles perspectives pédagogiques et de recherche sur les modes de représentation visent à faire évoluer la connaissance de l’existant. Les études opérationnelles, les relevés, les initiatives prospectives, les enquêtes, la diversité des échelles urbaines sur lesquelles se penche la recherche, forment autant de leviers d’action pour étudier les lieux en les saisissant dans leur complexité.
Héritages et développement durable des territoires
Comprendre les enjeux liés à la préservation des environnements urbains et ruraux, leur transmission dans des cadres règlementaires changeants et leur potentiel d’adaptation face aux évolutions des sociétés et aux équilibres menacés du monde vivant, repose sur une analyse approfondie des sites, des bâtiments ou des objets et des dynamiques qui ont marqué leur évolution. Il s’agit tout autant d’interroger certaines formes urbaines et bâties ou certains territoires et projets paysagers aujourd’hui en déshérence – architectures de la reconstruction, parcs urbains, zones suburbaines –, que de penser leur pérennité dans une approche concrète de l’aménagement territorial et urbain. La lecture qui peut en être faite est conditionnée par des stratégies de développement économique dont les temporalités ne coïncident pas toujours avec une réflexion mûrie sur le projet de reconversion. Le rapport qu’entretiennent les habitants avec d’anciens bâtiments dont ils sont aujourd’hui les usagers (« Façons d’habiter le XVIIIe arrondissement »), les analyses réalisées sur des ensembles urbains et paysagers, conçus ou transformés au XXe siècle (Diagnostics historiques et paysagers du master JHPP), la capacité d’adaptation aux nouvelles règlementations environnementales et la question énergétique (« Architectures de la reconstruction en Val-de-Loire »), forment autant de problématiques qu’il y a de volontés de les traiter de manière savante et nuancée.
Interroger les processus de construction patrimoniale
Les actions de patrimonialisation ne découlent pas nécessairement de l’évidence de la valeur des édifices et des sites. Elles sont changeantes en fonction des priorités données à chaque époque par des groupes différents, de ce qui est jugé comme digne d’intérêt et représentatif de valeurs communes. Cette analyse permet de pointer les mécanismes à l’œuvre dans les opérations de valorisation, comme d’expliquer les oublis ou les destructions. Parmi les actions de recherche, « La relecture critique de la Charte de Florence » sur les parcs publics urbains historiques découle de l’actualité donnée à cette question par ICOMOS International, et l’intérêt de confronter cette analyse avec les recherches menées sur la Charte de Venise. L’extension du champ patrimonial aux architectures banales est l’occasion d’interroger la relation qu’entretiennent les œuvres d’art et les aménagements mobiliers avec la conception de l’espace. Cette question peut être associée avec les interrogations plus générales sur les différentes modalités d’interventions en faveur d’opérations de restauration sur les monuments des XIXe et XXe siècle. Enfin, l’exploitation touristique donnée à travers les « souvenirs », images ou objets à forte tradition populaire, montre comment l’objet et ses multiples déclinaisons commerciales agissent dans les processus de patrimonialisation des édifices.
Développements culturels et touristiques
Les phénomènes de métropolisation mondiale sont aujourd’hui interrogés au prisme des flux touristiques, garants d’un développement économique et de mises en valeur assurant la sauvegarde des ensembles urbains. Mais parfois aussi, ces actions conduisent à des exploitations excessives qui modifient les lieux en faveur d’une réponse à la demande touristique. Entre sauvegardes et altérations, transmissions et évolutions, la problématique relative aux développements touristiques est riche de questionnement autour de la valorisation touristique des sites, de l’évolution des équipements et de la conservation des ensembles urbains. La participation au réseau Designing Heritage Tourism Landscapes International Network, la proposition d’organisation d’un workshop portant sur « Tourisme et patrimoine », celle d’un colloque « Paysages culturels, nouvelles lectures des territoires » et la participation à la Biennale d’architecture, d’urbanisme et de paysage en 2019, forment autant d’occasions de développements d’une problématique partagée par de nombreuses équipes de recherche. Les quartiers, les espaces publics et leurs bâtiments emblématiques sont soumis à des nouvelles hybridations d’usages et à des flux inédits. Sous une apparente stabilité, certains paysages urbains sont investis par de profondes mutations, d’autres secteurs, officiellement muséifiés, sont a contrario transformés progressivement pour consolider leur attractivité. Une analyse rétrospective du projet patrimonial porté par le XXe siècle peut fonder un regard renouvelé sur les dynamiques en cours et en saisir le potentiel et les fragilités. La collaboration avec le Conseil départemental des Yvelines dans l’étude d’un panel représentatif de collèges permettra d’engager les étudiants du master AST dans des études approfondies sur des édifices récents, et de contribuer à une sensibilisation des publics locaux à leur territoire.
Cultures professionnelles, médiations et transferts culturels
L’analyse des corpus de revues forme matière pour comprendre les phénomènes d’acculturation, de transmission des savoirs et des modes de représentation de l’espace. Parmi ceux-ci, l’étude des revues muséales constitue un support d’analyse des relations entre concepteurs des espaces intérieurs et professionnels de la conservation. Y est posée la question des modèles, des modes de diffusion, de la rhétorique propre à des catégories professionnelles distinctes et la manière dont elles peuvent dialoguer au service du projet d’aménagement intérieur. Dans cette visée interprofessionnelle, la recherche portant sur « Comment lire la revue Aujourd’hui : art et architecture », interroge tout à la fois les modes de communication propres à la revue que la constitution d’une nouvelle relation entre art et architecture. Enfin, les types de médias sont analysés autant pour leur rôle informatif – relater l’évènement, comprendre la ville – que dans leur capacité à constituer de nouvelles catégories de corpus scientifique. Mené avec l’ENSPV, avec laquelle les liens naturels ont été récemment resserrés, le projet autour des archives des concepteurs paysagistes du XXe siècle interroge les processus de patrimonialisation en même temps qu’il veut forger les outils de collecte, d’analyse et de médiation de ces cultures professionnelles ; l’étude des transferts culturels autour des savoir-faire jardiniers, notamment les liens établis entre la France, l’Italie et l’Allemagne aux XIXe et XXe, par un effet de distanciation, contribue à la réflexion sur les réappropriations de gestes anciens pour affronter les défis environnementaux.
Cet axe est coordonné par Stéphanie de Courtois.