Disparition de Philippe Panerai - Hommage de Jean Castex et communiqué de presse de l'ÉNSA Versailles
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Hommage de Jean Castex à Philippe Panerai
La force du souvenir mérite, avec Philippe Panerai, décédé le 11 mai 2023, de reprendre les messages de nombreux chercheurs dont les intérêts recoupaient les siens et qui viennent du monde entier. Bien sûr, les élèves d’Arretche aux Beaux-Arts, de ses collègues à l’Ecole de Versailles, ceux de Malaquais et Belleville sont précieux et portent la trace de collaborations ouvertes. Dans l’avertissement à Analyse Urbaine, de 1999, il retrace avec Jean Castex « l’aventure de la recherche et de l’enseignement » pour « les observations sur la forme urbaine » : mais aussi, le sociologue Jean-Charles Depaule, et la géographe Marcelle Demorgon. S’ajoute Sawsan Noweir et l’ouverture au Caire, Luc Vilan et Yves Roujon pour la Syrie, Yves Mangin pour les joies du découpage, Catherine Bruant pour l’efficacité de la recherche. Mais plus loin sont convoqués des gens actifs de la planète entière, de Constantine, de Barcelone, de l’Argentine avec Alfonso Corona Martinez ou à Porto Alegre Carlo Edouardo Comas, Sylvia Ficher qui loge à Brasilia dans de l’authentique Niemeyer, des Milanais, Vénitiens, Florentins, Faycal Ouaret à Sétif, le Chili, Bruxelles, Istanbul et notre grande analyste de la permanence des types anciens aux Etats-Unis, Anne Moudon de Seattle, qui renvoie la pareille à Susanne Komossa dans son illustration du « Dutch urban block » à l’Université de Delft. Panerai savait prendre en compte une vision globale sur l’érection de la ville, depuis l’Antiquité Egyptienne jusqu’aux troubles récents qui agitent l’Asie. Son discours était prêt à tout prendre dans la marche incertaine qui secoue de projet urbain dans le second millénaire.
Panerai se range parmi les grands théoriciens sur la gestion de la métropole. Reprenons ce qui est un grand succès dans l’édition sur la ville : Formes urbaines, de l’îlot à la barre où s’étagent trois éditions d’origine, sans omettre les traductions. De l’îlot à la barre, Contribution à une définition de l’architecture urbaine, Adros-Corda 1975, écrit par J.Castex, J.Ch.Depaule et Ph.Panerai (le directeur), compte rendu de fin de contrat. Puis, avec le vrai titre, chez Dunod, 1977, et, enfin, cette fois Panerai a droit à son titre de directeur de la recherche. Tout ce que vous devez savoir sur la question de la ville y apparaît. Le livre a reçu le prix Haussmann en 1977. Enfin vient la fameuse édition Parenthèses, 1997 toujours demandée par les lecteurs en l’an 2023 ! Puis est venue une approche précise sur le devenir urbain de Versailles de la fin du XVIIIe siècle aux années 1920, la croissance nord, le bâti au XIXe siècle et « Le triomphe de la meulière ». Cette partie a été rédigée dans l’ouvrage Lecture d’une ville : Versailles, 1980 (le titre est de Panerai) pour un chapitre terminal d’une étude qui retrace l’évolution du tissus en partant de 1660, dirigée par J.Castex avec P.Céleste.
Parmi les nombreuses publications, faisons appel à l’an 1999 : c’est celui ou Panerai est honoré par le Grand Prix de l’Urbanisme et où sont publiées deux ouvrages fondateurs : Analyse Urbaine, avec J.Ch.Depaule et M.Demorgon et Projet Urbain, signé avec D.Mangin et Ph.Panerai. Faire et critiquer semblaient nécessaire à l’accomplissement de la tache voulue par Panerai. Evidemment Analyse Urbaine n’est que la réécriture d’une recherche de 1975 sortie en 1980 avec déjà le même titre. La vision d’ensemble aide au « plaisir de la découverte » en mélangeant l’histoire, la géographie, le bon côté de l’analyse architecturale, le regard apporté aux modes de vie. L’illustration graphique et la cartographie mettent en vedette le Projet Urbain. Plus batailleur il sait s’affronter à l’avenir de la ville en « construisant avec le temps ».
En 2008, Panerai impliqué au Grand Paris achève Paris métropole, formes et échelles du Grand Paris. Il doit travailler sur la densité et l’occupation du sol. S’intéresse au site géographique, à l’opposition entre grands ensembles et les pavillons. Il procède par éléments entre mouvement et centralités, à la recherche sans doute d’une unité, sans prendre en compte la notion neuve d’un possible mélange entre la ville verte et l’urbanité grise qui peut s’opposer à la tache diffuse et mal agencée d’un Paris devenu hétérogène. Comparer avec Londres, New York et Shanghai n’empêche pas de revenir sur la centralité et de critiquer la gouvernance métropolitaine dans un débat sans doute trop court de 25 pages sur la politique de la gestion moderne.
L’un des derniers ouvrages de Panerai est issu comme un rêve qui le secoua après un accès brutal du Covid-19 en janvier 2021, La ville de demain, 2022. Il prend en mémoire ce qui s’est produit dans « les années 1970 et la redécouverte de la ville ». Lisez-le. Il rend hommage à ce que nous avons vécu dans cette décennie. Avec le retour aux sciences humaines avec Henri Lefebvre et Henri Raymond, la découverte de la Morphologie Urbaine, avec Saverio Muratori et débat productif avec les Italiens et Aldo Rossi commence une intense passion pour ce qui sera le projet urbain. Nos relations avec Bernard Huet semblaient pousser à l’entente de nos préoccupations. Le logement devenait appropriable, luttait « contre des logiques séparatrices » qui bloquaient nos volontés. Ce retour à notre formation – nous avions trente ans – rend désormais possible de trouver l’origine des moments qui ont dirigé sa formation de Panerai à l’Ecole des Beaux-Arts.
Panerai, bien que plus tard critique, a conservé de l’Ecole une disponibilité telle qu’elle ne pouvait que nous ouvrir à maitriser quelques points qui, lentement, engageaient nos choix. Elève de Louis Arretche, mais dans la tension des études de la fin de l’Ecole, membres avec Castex depuis 1965 de la Commission de Réforme pour Panerai en 1966 nous bâtissions nos convictions avec énergie. Prévoyant ce qui pourrait être notre avenir, c’est le 31 mai 1966 que nous soyons déclarés « assistants-élèves » pour seconder l’enseignement prévu pour le Concours d’entrée aux Beaux-Arts. Nous travaillons ensemble venant à l’atelier à l’heure du déjeuner. Profitant de l’intérêt d’Arretche, pendant la fin du printemps 1966, Panerai, Verlhac et Castex furent confronté à la métropole de Paris, avec le premier projet des Halles !
Nous étions convaincus de rester fidèles au Groupe A, mais, au-delà de l’année 1968 difficile et fondatrice, avec le remaniement des Ecoles d’Architecture, s’ouvrit en janvier 1969 la nouvelle Ecole de Versailles, UP3, promesse de la volonté obstinée d’Arretche. Panerai et moi ont dû jouer le rôle d’éléments fondateurs de l’Ecole, sous l’aiguillon de nos forces pour la rénovation. Par le travail avec des étudiants « fiers d’avoir été formés par Panerai et Castex » nous étonnaient en formant « un tandem de deux cerveaux actifs, avançant de connivence » (Chantal Callais). Ils devaient pousser à publier notre travail et à le faire connaitre. Ce n’est pas trahir la mémoire de Panerai que de citer notre ordre de bataille dans la « Blietzkrieg » d’UP3 de « Faire parler la syntaxe de l’architecture ». Nous faisions preuve « des délices du mécanicien ». De 1969 à 1973, 37 textes dans des revues suscitaient les remarques parfois mordantes des élèves et assuraient notre présence dans la presse architecturale. Bien sur nos références ne pouvaient éviter la ville en souffrance. Elle était le seul espoir d’une profession en quête d’être reconnue, devant la crise du Mouvement Moderne. Le « Droit à la Ville », les besoins sociaux n’empêchaient pas Panerai proche de la sociologie avec Jean-Charles Depaule de secouer les méthodes de travail. Aussi le besoin de recherche entraina la création du Ladros le 10 décembre 1973, « Association pour le Développement de la Recherche sur l’Organisation Spatiale ». Dès 1974, Panerai en devient président et nous ouvrait à l’Université. Mais n’oublions rien : il se tournait aussi vers l’Histoire bâtissant un programme pour toutes les années, inspiré de Bernard Huet. Etonnez-vous : il offrait d’enseigner un cours sur l’Architecture Moderne en 1972. L’histoire était le garant de la réflexion critique et théorique sur l’architecture, besoin qu’il ne fallait surement pas manquer. Cette rapide évocation prouve que tout était déjà en place pour la suite d’une carrière qui s’annonçait brillante et prometteuse, qui irradie la mémoire de Philippe Panerai.
Jean Castex, Professeur d’Histoire de l’Architecture, enseignant de projet et de théorie, Président de Conseil d’Administration pendant 13 ans. 17 mai 2023.